Un livre : « Le Roi tué »
Jacques Noterman (éd. Jourdan Leclercq – 2004)
Jacques Noterman (éd. Jourdan Leclercq – 2004)
L’auteur, aujourd’hui décédé, est connu du GBB pour avoir, il y a quelques années, présenté un « tour insolite et ésotérique » en car et quelques cimetières bruxellois.
Le titre du présent livre est accrocheur et évoque déjà les conclusions de l’auteur. Si le roi Albert n’est pas mort de la chute d’un rocher à Marche-les-Dames, il ne peut qu’avoir été tué.
L’analyse très fouillée des documents établis à l’époque et des déclarations, souvent contradictoires, faites par les uns et les autres permet de conclure, selon l’auteur, qu’il ne peut y avoir que machination, mise en scène, désinformation.
Il relève 37 anomalies, parfois de manière spécieuse, du genre « il aurait pu prendre un chemin différent, il ne l’a pas fait – c’est suspect ! ». Relevons-en quelques-unes qui méritent néanmoins l’attention :
- La diversité des relations des témoins, la discordance entre certains détails, ce qui pourrait démontrer qu’on a suggéré à certains de déclarer (ou d’omettre de déclarer) des points importants ;
- L’incohérence de nombreux récits : on ne sait trop à quelle heure le roi est vraiment décédé ; on ne sait pas quelle auto il a empruntée et où exactement elle a été stationnée, il y a des divergences sur l’endroit où le valet de chambre du roi a téléphoné ;
- Les impossibilités physiques : la position du corps, la blessure à la tête, les 3 pierres retrouvées ensanglantées alors qu’il n’y a qu’une seule blessure à la tête du roi, les bras en croix ou ballants, les rigidités du corps (corps raide pour les uns, souple pour d’autres) ;
- La relation des heures : pourquoi son valet ne l’a-t-il pas retrouvé en plein jour ? pourquoi a-t-il fallu 9 heures de recherches ?
- Les questions circonstancielles : pourquoi un rocher a-t-il lâché alors que le roi connaissait parfaitement les lieux ? pourquoi portait-il une corde autour du corps alors qu’il est seul ? pourquoi ses lunettes se trouvaient assez éloignées du cadavre, comme si on les avait posées ultérieurement ? Pourquoi a-t-il entrepris plusieurs escalades alors qu’il savait avoir un rendez-vous le soir même au palais des Sports de Schaerbeek et qu’il était connu pour sa ponctualité ?
- L’incompétence ou les erreurs de l’autorité : pourquoi avoir fait appel uniquement à la gendarmerie locale et pas aux forces armées ? pourquoi le juge d’instruction n’a-t-il pas fait tous ses devoirs d’enquête ? pourquoi le corps n’a-t-il pas été autopsié ? pourquoi le parquet boucle-t-il le dossier sans avoir analysé toutes les pistes ?
L’amoncellement de tous ces manquements et contradictions ouvre, pour l’auteur, la voie sur toutes sortes de supputations qu’il rejette par esprit d’objectivité (selon lui) :
- Le roi a été assassiné par des services secrets étrangers : les Français car il ne voulait pas participer à l’effort d’armement de la France en Allemagne (théorie du colonel Hutchinson), les Allemands car il dérangeait les visées d’Hitler (évoquée par Jo Gérard), les Anglais car on le considérait trop proche de l’Allemagne ;
- Le roi a été tué par un aristocrate jaloux ou un mari cocu car on attribuait au roi Albert plus d’une aventure féminine, ou alors par une maîtresse délaissée ;
- Le roi avait trois ou quatre ans auparavant contracté une solide assurance-vie ;
- Le roi n’est pas mort à Marche-les-Dames
A partir de là, en faisant appel au principe de la critique historique (enfin, sa manière personnelle d’envisager l’objectivité de ses appréciations), l’auteur réfute toutes les rumeurs qui précèdent mais se lance dans des théories fumeuses, voire schizophrènes : ce serait la Reine Elisabeth qui, dans une crise de jalousie, aurait tiré sur son volage mari. N’avait-elle pas un mauvais caractère ? A-t-elle seulement versé une larme à l’annonce de la mort de son époux ? Pourquoi a-t-elle quitté la Belgique pendant un certain temps après le décès pour séjourner en Italie chez sa fille ? N’avait-elle pas d’ailleurs une vie dissolue et de nombreux amants ? Ce serait, en tout cas, la théorie la plus plausible.
Devant toutes ces élucubrations on reste pantois : Noterman épluche des textes, des déclarations, des constats et trouve (ou prétend trouver) les failles. Mais il propage des rumeurs, des assertions sans fond, des idées non recoupées et tire des conclusions époustouflantes. En plus, il admet que souvent il s’agit de rumeurs, ils les détricotent pour mieux les reprendre à son compte. Sachez qu’en d’autres circonstances, les services de renseignements des grands pays opèrent aussi de la même manière quand ils désirent ébranler une puissance adverse : ils propagent un ensemble de vérités indéniables, de vrais recoupements et ils saupoudrent le tout de quelques détails jetant la suspicion et donc, déstabilisants. On appelle cela des « mesures actives » ou encore de la « désinformation ». Que cela se trouve dans la presse « people » ou les « tabloïdes », cela ne me dérange pas. Là où cela devient gênant, et parfois même scandaleux, c’est que l’auteur se targue d’être objectif, sérieux et impartial.
Quelques remarques personnelles :
1. Selon Noterman, la thèse de l’accident qui ne tiendrait pas la route !
Voici, pris au hasard, une statistique retrouvée sur internet :
SYSTEME NATIONAL D’OBSERVATION DE LA SECURITE EN MONTAGNE (France)
Entre le 1er juin et le 30 septembre 2005, les services de secours en montagne ont recensé 2 365 interventions concernant 2 992 personnes, se répartissant en :
- 1 602 personnes blessées (parmi lesquelles certaines ont pu décéder des suites de leurs blessures) ;
- 10 personnes disparues ;
- 229 personnes malades, soit en raison de leur séjour en altitude, soit pour des raisons de santé, soit encore pour une hypoglycémie ou un épuisement ;
- 110 personnes décédées sur place, dont 74 de manière traumatique et 36 de manière non-traumatique ;
- 1041 personnes indemnes.
Conclusion : même les plus grands spécialistes de la montagne connaissent des accidents (110 personnes tuées en trois mois !!). Alors pourquoi pas le Roi Albert ? Serait-il à l’abri d’une telle mésaventure ? Est-il un surhomme ? Et pourtant Noterman exclut définitivement la thèse de l’accident.
2. La théorie de la bonne connaissance des lieux et de la bonne condition physique du roi ! Un homme de 58 ans ne peut-il pas connaître un moment de fatigue ? Ou, tout simplement, n’a-t-il pas présumé de ses forces ? Certains prétendaient qu’il était prudent (car il avait des charges importantes), d’autres le prenaient pour un casse-cou en montagne, toujours premier de cordée, infatigable sur les rochers les plus abrupts. Alors, un passage à vide ou un morceau de rocher qui se détache inopinément, ce n’est pas inhabituel. Cela arrive tous les jours dans la montagne. Parlons plutôt du hasard qui fait … mal les choses.
3. Au moins 17 personnes, toutes citées et profondément analysées dans le livre, ont participé de manière proche aux recherches et investigations autour de la disparition puis de la découverte du roi. 17 personnes, plus d’autres qui n’apparaissent pas au grand jour, qu’il a fallu faire taire jusqu’à leur mort, et même après : C’est le « Grand Complot » ! Personne n’aurait eu de remords de conscience, personne n’aurait voulu remettre les choses en place avant le « Jugement Dernier ». Quelles sottises !
Conclusion : Quand on veut battre son chien, on trouve toujours un bâton !